Un autre jour se lève

Attendre que le jour se lève, sans bouger, sans penser, sans presque respirer. Dehors, les oiseaux chantent, assourdissant mes oreilles, déchirant mes tympans. Sur moi, l’édredon de plumes semble peser une tonne. Il m’écrase, m’oppresse, m’étouffe. Je sens l’air frais de la nuit presque morte, pas encore tout à fait jour, ni même aube, passer sur mon visage. La fenêtre est un œil vide et morne qui me fixe. Une araignée solitaire court sur le plafond, vers sa toile où se débat une vaine tache noire, pathétique créature au bout de son souffle. Laquelle des deux me ressemble le plus ?

Bruit de moteur, bips incessants d’un engin qui recule, heurts d’une pelleteuse sur le sol, vrombissements des ondes jusque dans mon corps… Le jour est levé, gris et froid. Je n’ai pas vu les heures défiler, immobile sur le lit, entre veille insomniaque et épuisement nerveux. Il faut bouger. Se redresser, se lever, s’habiller. Entamer une autre journée au radar, une journée interminable et lasse.

Le café passe, l’odeur se répand lentement dans la maison. Le sang circule de nouveau dans mes veines, j’entends mon cœur cogner dans ma poitrine. Comme s’il redoublait d’efforts pour se faire entendre, pour secouer ce corps qui voudrait juste se laisser aller. Inspirer. Lentement. Expirer sans forcer. Essayer de calmer les rouages internes, diminuer la pression, lâcher du lest et me donner un peu de répit. Rien n’est jamais acquis, ni facile, mais rien n’est jamais impossible non plus. L’esprit humain est capable de merveilles. Il peut fonctionner malgré la léthargie des muscles. Mon cerveau est un petit hamster qui trotte sans cesse dans sa roue. Il court, il court, il court. Il m’épuise.
Parfois, je m’écroule. Et il continue sans moi.

Aujourd’hui, le mal de tête s’est levé avec moi. Les pulsations se font plus fortes au fur et à mesure que la journée avance. J’ai l’impression de reculer. De plus en plus profondément en moi. Je sens mes os, mes muscles, mon sang, mes organes, mes cellules. Du plus grand au plus petit. Tout est douloureux. Mon corps demande à retrouver sa fluidité, à se fondre dans le monde, disparaître dans l’anonymat de tous ces gens qui vivent normalement, jour après jour, sans rien voir ni sentir.
Inspirer. Lentement. Expirer sans forcer. Répéter encore et encore. À l’infini. Jusqu’à ce que le calme revienne, que l’énergie recommence à circuler, effaçant la fatigue, les douleurs, les doutes et les tensions.

Une gorgée de café, un peu de miel. Le liquide parcourt mon corps, tel un frisson incontrôlable. Chaud, sucré, fort. Je ferme les yeux, laisse aller ma tête en arrière, sur le dossier de la chaise. Pour un instant, un instant seulement, tout va bien. Tout ira bien. Parce que c’est la seule option.
Comme pour m’encourager, le soleil écarte les nuages. Le ciel sourit.

Moi aussi.

© Julie Turconi
Montréal, 31 juillet 2014

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