EXTRAITS DU TEXTE ORIGINAL,
publié dans le # 13 d'hiver 2005 de la revue québécoise du polar et du noir,  ALIBIS

 

Que se passerait-il si vous alliez au service des urgences d'un hôpital pour des douleurs violentes sans que personne, ni infirmière ni médecin, n'arrive à déterminer exactement ce dont vous souffrez ? Croyez-vous vraiment que vous deviendriez un cas célèbre et reconnu ? Rien n'est moins sûr…
Parce que c'est précisément ce qui m'est arrivé. J'étais bien tranquillement chez moi, un soir d'été, à siroter une bière tout en lisant les actualités sur Internet, lorsque je me suis mise à ressentir une légère douleur au niveau des côtes, à droite. Enfin, au début ce n'était guère plus qu'une gêne, sans conséquence. Je me suis étirée, j'ai changé de position et j'ai oublié cet inconfort pour me replonger dans les nouvelles insolites du jour : l'histoire quelque peu pathétique mais drôle d'un minable braqueur qui laissait malencontreusement tomber son curriculum vitæ de sa poche lors de son méfait, ne laissant plus à la police que le soin d'aller l'alpaguer chez lui. Je souriais, je me souviens. Si j'avais su, à ce moment-là…

...

Je me sentais cotonneuse, un peu planante. Les lumières blafardes des couloirs et des chambres donnaient un air irréel à l'ensemble. Les patients que j'apercevais au détour de mes pérégrinations d'une salle d'examen à une autre avaient le teint blanchâtre, cadavérique pour certains. Des civières vides traînaient dans les corridors, attendant que quelqu'un s'occupe d'elles. Comme moi, quoi. Une odeur flottait dans l'air. L'odeur caractéristique d'hôpital, de médicament et de désinfectant. J'étais comme détachée de moi-même, la nuit n'avait plus d'emprise sur ma peur atavique de la maladie et de la mort. La morphine, sans aucun doute. 

Seuls les médecins successifs qui se croyaient obligés de me toucher pour savoir où exactement était la douleur, me faisant crier et pleurer lorsqu'ils la trouvaient, parvenaient à me tirer de ma torpeur. J'avais perdu toute notion de temps. À l'occasion, je fermais les yeux et me laissais partir dans une somnolence désagréable. 
J'ai été surprise de voir arriver, au petit matin, les infirmières avec les plateaux de petits-déjeuners. Auxquels bien sûr je n'avais pas droit, au cas où il faudrait m'opérer. Je n'avais de toute façon pas faim et la morphine de la dernière injection courait encore dans mes veines. Mon dos commençait à me faire mal, lui aussi, à cause de la position dans laquelle j'avais passé ma nuit. Assise en tailleur, penchée en avant, les coudes sur les genoux, incapable de me redresser pour m'appuyer sur un quelconque dossier.
Mon dieu ! Est-ce que tout ça allait finir bientôt ?

La journée s'est passée dans une sorte de brouillard bienvenu. Toujours la morphine. Les examens se sont succédé, les médecins aussi. Mon interne était encore là et passait me voir de temps en temps. Il était plutôt gentil. Les infirmières également, qui disaient que ça ne servait à rien de souffrir et qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour essayer de me soulager. Morphine. J'allais devenir accro si ça continuait !

...

Quoi qu'il en soit, quand on est arrivés à l'hôpital, le même que la fois dernière, ce même infirmier est passé à l'accueil, ma fiche d'inscription en main, ma carte d'assurance maladie sur le dessus. Et il est revenu vers moi cinq minutes plus tard, m'a fait signe de descendre de la civière. Je ne comprenais pas. J'ai levé un sourcil en signe d'interrogation. Je regrette, ce numéro n'existe pas, cette carte est fausse, vous n'avez pas d'assurance, comment l'avez-vous obtenue ? Visiblement, son collègue était persuadé que j'étais une fraudeuse, peut-être même une immigrante en situation irrégulière (mon accent français me trahit toujours). Il voulait appeler les flics, mais le premier infirmier a eu pitié de moi, je crois. De mon regard complètement perdu, de l'incompréhension manifeste qui se peignait sur mon visage. Il m'a tendu les documents en secouant doucement la tête et m'a raccompagnée jusqu'à la porte. Dûment escortée par deux gorilles de la sécurité que la fille de l'accueil avait prévenus. Apparemment, ils ne plaisantaient pas avec les tentatives d'usurpation, ici ! En fait, j'allais vite découvrir que c'était un peu plus compliqué que cela.

Je me suis retrouvée dehors, sur le trottoir devant l'hôpital, en proie aux doutes les plus grands. Que s'était-il donc passé ? J'avais beau essayé d'y voir clair, aucune explication logique ne me venait à l'esprit. Et mon mal de crâne persistant n'aidait pas. J'ai fini par me lever et traverser le stationnement d'un pas mal assuré, un peu groggy. Sans faire attention à ce qui m'entourait. Je ne l'ai donc pas vu arriver. Mon interne, le beau gosse au nom bien choisi. Le docteur Lebeau. J'avais dû lui taper dans l'œil, ce n'est pas possible autrement. Ou alors il a vraiment eu pitié de moi, lui aussi. Ça commençait à faire beaucoup.

Il m'a prise par le bras et m'a entraînée vers un coin désert, sombre, tout en jetant des regards inquiets autour de lui. Puis il s'est mis à chuchoter. J'ai failli éclater de rire tellement tout cela me paraissait ridicule. On se serait cru dans un film ! Mais un mauvais film. Car il faisait déjà nuit noire, la neige s'était mise à tomber en gros flocons et je ne voyais pas qui aurait pu s'offusquer de le voir avec moi. D'autant que mes nerfs étaient prêts à lâcher. 

Mais il avait peur. Il transpirait malgré le froid et sa main sur mon bras tremblait légèrement. J'ai commencé à me sentir mal, moi aussi. 

...

Montréal,
Le 07 juillet 2004

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