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Immobile derrière la vitre, un peu en retrait, en partie masquée par la tenture, elle attend. Patiemment. Comme d'habitude. Elle regarde dehors, la rue éclaboussée de tâches de lune, les trottoirs gris et sales, les rares voitures qui passent, presque en silence. Son visage est dans l'ombre, indéchiffrable. Elle porte un jean moulant, taille basse, un T-shirt qui laisse apercevoir son nombril et colle à ses petits seins lisses, des lunettes noires qui cachent son regard vide, des sandales en cuir et des bracelets de plastique vert, translucides. Elle est mince comme une liane, et sa main fine, élégamment ployée devant son buste, donne une impression de souplesse à sa posture un peu relâchée. Elle a le dos cambré, une jambe légèrement fléchie et plus avancée que l'autre, une main sur sa taille qui se déhanche, la tête imperceptiblement rejetée en arrière, les lèvres figées en un sourire provocant. Ses longs cheveux blonds cascadent sur ses épaules, une mèche savamment agencée lui retombe sur les yeux. Elle est belle, sensuelle, racée. 

(...)

La lune illumine sa peau pâle, trop pâle. Elle se dit que l'heure est venue, ça y est, elle sent en elle la rigidité se diluer, elle ressent l'envie de bouger. Pour l'instant, seuls ses yeux clignent derrière ses lunettes à monture dorée. 

(...)

Les jeunes gens ont passé leur chemin, lassés de son manque de réaction. Alors un coin de sa bouche se soulève et son sourire change. Il n'a plus rien de charmeur, de provocant. La faim, la soif et l'envie creusent un sillon au coin de ses lèvres fines, découvrant des dents petites et blanches qui n'y était pas encore quelques minutes auparavant. Comme à chaque fois, elle se sent partagée, coupée en deux par son désir

(...)

Elle marche de plus en plus vite, grisée par la nuit, par la force qu'elle sent en elle, par cette vie si inattendue, si jouissive. Elle ne se souvient pas l'avoir demandée. Peut-être souhaitée, un jour lointain, au plus profond de son corps raide, toujours à la merci de la volonté des autres : "mettez-lui ceci", "non, ça ne va pas, changez-moi ce haut", "il faut des accessoires, regardez ce qu'on a comme bijoux", "il faut qu'elle se mette ici, la petite, qu'on la voit"… Et elle se laissait manipuler, au gré des fantaisies de la mode. Mais tous ces mots pour elle vides de sens avaient insensiblement fini par en prendre un, par acquérir une substance, une réalité. Et quand cela était arrivé, il était déjà trop tard, le mécanisme en elle s'était mis en route. Inéluctable. Elle n'avait pas lutté, pas résisté. Et le sang avait coulé.

(...)

Aujourd'hui elle a cessé de se demander pourquoi, comment. Elle est, c'est tout. Et parfois elle vit. 

(...)

Montréal,
Le 09 juillet 2005

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