La jeune femme qui marche dans la rue, juste devant moi... serait-ce… ? Elle passe à l'instant devant une boutique de lingerie féminine et jette un regard pétillant sur la vitrine aguicheuse. Je suis prêt à parier qu'elle se dit qu'elle devrait renouveler sa garde-robe intime. Je la connais tellement bien… ou plutôt je la connaissais, mais ça fait si longtemps! Et puis… non, c'est impossible, ça ne peut pas être elle, je n'arrive pas à y croire. Et pourtant…
Elle, c'est Jeanne. Toute une histoire, cette fille. Séduisante en diable, des courbes généreuses et harmonieuses, une cervelle par là-dessus, ce qui ne gâche rien. Mais une croqueuse d'hommes, une dévoreuse. Une fille qui ne s'embarrasse pas de chichis et vit sa vie à fond. En goûtant à tous les plaisirs qu'elle se plait à imaginer au fur et à mesure de ses envies, de ses pulsions. Je m'y suis brûlé les ailes pendant un temps et j'ai bien failli en rester sur le carreau. Dangereuse à trop haute dose, la demoiselle. Trop libre, égoïste à sa façon perverse et surtout sans aucune limite.
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Notre lune de miel n'a d'ailleurs duré que quelques mois, le temps pour elle de se rendre compte que je ne serai jamais à la hauteur de ses ambitions et que je n'étais au fond qu'un piètre partenaire. Trop engoncé dans mes principes et ma médiocrité, je tenais bien trop à ma vie, si petite soit-elle, pour la mettre en jeu comme elle se plaisait à le faire de la sienne. "Si tu ne risques jamais ton bonheur et ta peau, comment veux-tu les apprécier et vivre pleinement ?" me répétait-elle constamment.
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Et tout ça a bien failli me mener derrière des barreaux. Après un vol de bijoux de grande envergure qui a mal tourné. Ou plutôt qui a tourné exactement comme elle l'avait planifié, c'est-à-dire parfaitement bien pour elle, très mal pour moi. Seulement à l'époque je n'avais pas de casier judiciaire et mon avocat commis d'office était un jeune débutant, tout frais émoulu de l'école, qui s'était mis dans la tête de défendre la veuve et l'orphelin quelque en soit le prix. J'étais clairement la victime, manipulé par une véritable mante religieuse, connue pour ses multiples conquêtes fracassantes… et payantes, même si cela n'était pas - encore - du domaine public. Alors il a réussi l'improbable : me sortir de cette situation catastrophique en deux temps trois mouvements. Qui a-t-il fait chanter ou menacé ?
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Quand elle ressort, quelques dix minutes plus tard, je reprends ma filature. Discrètement. Elle se dirige droit vers un hôtel de la vieille ville dont l'entrée me sera refusée, je le sais déjà. Bien trop classe pour moi. Mais elle y a visiblement ses habitudes, se permettant quelques familiarités avec le portier, offrant un éclat de rire au réceptionniste ébloui. Elle n'a pas changé, elle. Et ma conviction se renforce : elle est là pour un gros coup. Un très gros coup. Et tout à coup la lumière se fait dans ma tête.
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Je secoue violemment la tête en m'expédiant un coup de pied mental au postérieur, pour tenter de me secouer, de m'empêcher de retomber derechef amoureux fou de cette fille. Oh non, j'ai déjà donné, je ne suis quand même pas assez stupide pour me laisser avoir deux fois ! Il faut que je me reprenne. Je la laisse vaquer à ses occupations, persuadé de la retrouver dans les parages très facilement, et rentre chez moi. Quelque peu perturbé. Le bon sens voudrait que je m'éloigne le plus vite possible de cette galère, que je fasse comme si je n'avais pas aperçu Jeanne dans la rue ce matin. Mais le bon sens n'a jamais eu beaucoup de prise sur moi…
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Entre temps je continue à suivre Jeanne le plus souvent possible. Pour essayer de me faire une idée de ses plans. Je crois à tout avec Jeanne comme personnage principal, même à l'improbable. Elle est bien fichue de réussir, la dame de mon cœur ! Je sais, pour l'avoir vu, qu'elle a utilisé ses moyens habituels pour monter son coup, à savoir la séduction pure et dure des grands de ce monde de riches. Mais je sais aussi qu'elle doit avoir quelqu'un d'autre pour l'appuyer, quelqu'un qui puisse faire diversion et lui permettre de s'échapper. Elle travaille toujours ainsi : à deux. Jamais plus, jamais moins. Quoique dans le fond Jeanne ne travaille que pour son propre compte, sans vraiment se soucier de son partenaire du moment. Elle est versatile, ma déesse. Mais organisée.
Pourtant j'ai beau me creuser la cervelle, je ne trouve rien, pas la queue d'un indice ou d'une indication sur sa façon de procéder cette fois-ci. Le mystère rehausse mon excitation.
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La réception est magnifique, ce soir seuls les fortunés détenteurs d'une invitation ont le privilège de découvrir l'exposition. Amateurs d'art, millionnaires, journalistes, et j'en passe. J'en oublie momentanément Jeanne, je suis en admiration totale devant ces bijoux compliqués, parfois très lourds mais toujours finement ciselés, qui brillent de tous leurs feux dans les vitrines protégées par des alarmes et autres dispositifs tous plus modernes les uns que les autres. Facilement repérables pour un voleur expérimenté comme moi et c'est probablement intentionnel. "Attention, pas touche !" est comme inscrit en lettres lumineuses aux quatre coins de la pièce. La dame au bras de qui je me tiens sourit à la cantonade, visiblement flattée de pouvoir se montrer avec un homme jeune et bien de sa personne. Je suis aux aguets, et soudain j'aperçois Jeanne, de l'autre côté de la salle, près du buffet.
Mon dieu, comme elle est belle ! Même si elle a visiblement voulu rester discrète dans sa tenue, pour passer inaperçue, pour moi son éclat ternit celui de toutes ces breloques autour de nous. Je suis sous le charme. Je suis dingue.
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