En mémoire d'un homme que je n'ai jamais connu autrement que dans les souvenirs d'un autre...

& Publié dans le # 39 de la revue thématique de création littéraire et artistique  Lieux d'Être (hiver 2005).

 

Il marchait. Encore et toujours. Sans relâche. Sans but apparent. 
Il marchait à travers la campagne, au bord de la mer, dans les rues de la ville. Tous les jours. Beau temps, mauvais temps. Il marchait et il marmonnait. Des paroles indistinctes, sans aucun sens pour un autre que lui. 
Il marchait en souriant, en pleurant, en criant parfois. Mais il marchait. Infatigable. Il accumulait les kilomètres, comme un marathonien qui s’entraînerait. Mais lui se contentait de marcher. L’important n’était pas l’effort accompli ou la distance parcourue, c’était le fait même de marcher. Un pas après l’autre. Encore et encore. Toujours plus loin. 

Je le revois comme si c’était hier. Pourtant j’étais môme à l’époque. J’habitais dans cette petite ville de campagne, station balnéaire qui n’avait pas encore connu son apogée. Tranquille et désertée en hiver, animée sous la chaleur de l’été. Et lui était toujours là, à l’année longue. Je ne me souviens pas d’un seul jour où je ne l’ai pas vu marcher. Arpenter les rues et les chemins de notre coin de pays.
Il était notre « fou du village », notre Quasimodo. Tout village qui se respecte se doit d’en avoir un, que ce soit simplement un original incompris par ses pairs, un vrai fou ou encore un homme affublé de difformités honteuses. Nous, on était fier du nôtre. Il était unique. 

Je l’ai toujours connu, d’aussi loin que remontent mes souvenirs. 

...

Montréal,
Le 29 avril 2004

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