
& Essai publié dans Brèves Littéraires #69 d'hiver 2005
Envie d'écrire. Quoi ? Peu importe. Chasser la déprime, réveiller la mémoire et l'imagination. Inventer. Aligner des mots. Magiques et tendres. Créer des histoires, plus folles les unes que les autres. Jouer avec la langue et ses figures de style. Métaphore, hyperbole, litote, oxymoron, prosopopée, synalèphe… Autant de mots étranges et quasi incompréhensibles, sortis de cerveaux lettrés et savants. Mots à la connotation mystérieuse, qui ne demandent qu'à sortir des dictionnaires où on les retient prisonniers. Les jeter sur une page, comme ça, en vrac. En créer de nouveaux.
Combattre le silence. Un texte sur le thème du silence ?… Est-ce si difficile que cela quand on n'a de toute façon rien à dire ? Une page blanche. Un long silence d'écrivain. Un espace vide, sans vie, sans mots, sans ponctuation, sans rythme. Comment faire revenir l'inspiration, l'envie d'exprimer des émotions cachées ? Commencer à écrire, à mettre des mots sur la page, à faire naître, difficilement, un texte. Même court, même imparfait, même ridicule. Espérer que la main qui tient la plume ou qui court sur le clavier va se déclencher, se mouvoir de son propre chef, sans attendre, sans demander l'avis du reste du corps.
Rêver. Laisser son esprit vagabonder dans le brouillard de l'inconscient. Pour y trouver un déclencheur. Une phrase, un mot. Une image. Et faire jaillir l'imaginaire comme un geyser, comme une source soudaine et intarissable. Une crûe, une inondation qui emporte la déprime, fait vibrer le corps, inexplicable. Puis la lente décrûe, l'excitation qui retombe doucement. Et la sensation d'accomplissement, du travail fait. Tempérée par la certitude de l'imperfection. Celle qui dans le fond donne tout son charme à l'écrit.
Et puis redescendre sur terre, se retrouver à nouveau chez soi, dans sa vie, son univers. Et se demander si tout cela en vaut la peine.
Soupirer, crier, pleurer peut-être. Écrit vain ? Possiblement. Mais pas pour tous.
Surtout parler les mots, ne pas se contenter de les regarder. Les faire vibrer, ronfler, les goûter en bouche. Comme un chocolat ou un vin fin que l'on savoure. Les partager avec le silence pour ne pas les enfermer. La feuille n'est pas une prison, une geôle, elle est au contraire un moyen de transport, un oiseau aux longues ailes blanches capable d'emmener ses passagers d'encre où l'on veut. Où l'on rêve. Parfois même jusque de l'autre côté de la terre. Sur les plumes du vent.
Faire passer les mots de bouche en bouche, de main en main. Attendre. Avoir peur. Craindre les critiques mais avoir conscience de les demander. Dures mais nécessaires.
Chercher enfin. Chercher un sens à tout cela.
C'est exactement ce que je fais. J'écris, j'écris… et puis ? Le stress de l'écrivain. La sensation d'inutilité. Un alignement de mots, d'espaces, de virgules, de points. Cohésion aléatoire. Que faire pour donner vie à ce qu'on a dans la tête, le plus fidèlement possible ? Ne pas perdre le fil d'une réflexion, d'une action. Se concentrer. Jusqu'à l'autisme temporaire. Ne plus entendre le monde autour. Bruit de voitures, pépiements d'oiseaux, vent dans les arbres. Silence. Chaleur et lumière à travers les larges fenêtres. Ne pas se laisser distraire par la vue, garder les yeux sur la feuille de moins en moins blanche. Comme un encouragement. Et reprendre sans cesse. Fautes d'orthographe, de grammaire, de syntaxe, mauvais choix de vocabulaire. Tout compte. Tout conte.
…
Prendre un livre sur l'étagère. Roman, recueil, dictionnaire, essai, poésie. Des mots qui déjà éveillent les sens. Caresser délicatement la couverture, sentir le papier. Prémices du plaisir à venir. Sensuel, tactile. L'ouvrir lentement. Savourer les sensations, le bruit caractéristique du papier légèrement froissé sous les doigts. Découvrir.
Combattre la solitude, la banalité. Commencer à lire. Aligner les mots dans sa tête, sans y penser, geste machinal. Laisser l'imaginaire prendre les commandes, nous emmener dans un autre monde. Beau. Terrible. Palpitant. Ne plus pouvoir s'arrêter, ne plus pouvoir abandonner les personnages. Leur donner vie. Par petites touches.
Se projeter dans l'histoire. Retrouver des sentiments familiers, propres à chacun. Laisser les yeux courir sur les pages noires de mots. Se sentir gagner par le mystère, la beauté. Se tendre sous l'effet des émotions. Sursauter, pleurer, rire. Perdre toute notion du temps.
Arriver au bout. Savourer. Hésiter. Et fermer à regret le livre. Trop court. Trop long aussi. Pourquoi lire ? A quoi cela mène-t-il ? S'isoler, se perdre dans un ailleurs. Se comprendre peut-être. Ou comprendre le monde. Le changer, le rêver.
Aimer ou détester. Mais faire présent de ces mots à un autre. Les passer de main en main. Loin. Partage nécessaire pour les faire résonner dans l'air. Mots dits avec ferveur, avec colère, avec amour. Maudits ou adulés.
Donner corps à l'irréel.
C'est ce que je fais. Je lis. Sans arrêt. Boulimique, infatigable consommatrice de mots. Lectrice attentive et passionnée. Depuis toujours. D'aussi loin que je me souvienne.
Oublier ce qui nous entoure, dissoudre les contours de la pièce, se construire un décor changeant. Plonger corps et âme dans les mots, nager en eux, couler, se noyer presque. Avec délectation. Et ressurgir essoufflée, heureuse, haineuse, amoureuse. Ressourcée.
…
Lien étroit, magique, unique, entre l'écrivain et ses personnages. Entre l'écrivain et ses lecteurs. Intangible mais pourtant bien réel. Envahissant. Car l'un n'existe pas sans les autres. Dépendance totale. Mais qui influence qui, dans le fond ? Celui qui a le moins de réalité, celui qui n'a pas d'existence, est peut-être le plus présent des trois. Il dirige nos pensées, crée des mots, des idées, des envies.
Je veux être un personnage, je veux faire partie de l'écrit, les cris de l'écrivain, des mots… Me fondre en eux, perdre toute substance pour mieux venir à la vie. Éternelle.
Montréal, le 13 août 2003
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