C’est le temps des haïkus

Comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

ciel de tempête
la silhouette des arbres
en noir sur fond blanc

Des silhouettes qui se tordent vers le ciel, étirent leurs doigts vers l’azur, se tendent vers un hypothétique printemps, alors même que les nuages s’épaississent et que les flocons commencent à tomber, légers et doux, mais de plus en plus denses. La forêt devient une œuvre graphique de lignes horizontales noires entrecoupées des fines rainures de plus en plus blanches des branches qui se chargent de neige et ploient vers le bas. Le paysage se découpe en noir sur fond blanc. Comme un baume sur le cœur de l’hiver.

fin de bordée
le bois prend des allures
de conte de fées

Enfin, la neige, la vraie! Celle qui recouvre la ville d’un épais tapis blanc qui n’est pas près de disparaître. Celle qui colle aux arbres et dessine un paysage fantasmatique. Celle qui tapisse les toits et s’accroche aux aiguilles des pins. Celle qu’on doit pelleter pour dégager son entrée. Celle qui magnifie tout.

éclat des baies rouges
sur les branches chargées de blanc
la forêt chante

Mon cœur chante, lui aussi, devant tant de beauté éphémère. Le merveilleux n’existe pas que dans les contes. Aujourd’hui, on le trouve au détour de chaque chemin, derrière chaque buisson, chaque tronc. Même les voitures ensevelies se sont transformées en monstres paisibles, assoupies sous leur duvet blanc.
Quelques flocons rebelles relancent le bal, ponctuent le paysage et en adoucissent encore les contours… Je rêve éveillé. Mais rien n’est parfait dans ce monde, et les grincements de vieille corde à linge rouillé d’un geai bleu viennent brusquement rompre le charme.

stridence des geais bleus
et des corbeaux rocailleux
silence des flocons

Le chant mélodieux des mésanges, attirées par les mangeoires, est bientôt irrémédiablement recouvert. Des corneilles s’élèvent dans le ciel, silhouettes noires sur fond gris. Leurs cris rocailleux de pierres qui s’entrechoquent me font immanquablement penser aux intersignes bretons, ces moments particuliers marquant le croisement fugace du monde des morts avec celui des vivants. Le noir profond de leurs plumes attire et absorbe la lumière, mais il reflète aussi un peu du bleu subitement retrouvé du ciel. Métaphore de cette lumière qui ne demande qu’à briller au fond de chacun d’entre nous, au cœur de notre humanité, au cœur même de l’obscurité la plus noire? Je m’éloigne, songeuse.

des flocons épars
couvrent le sol de diamants
oh! un trente sous

La pièce luit sur la neige, reflet acier du ciel et des éclats de soleil qui transpercent à présent la couche nuageuse, venant illuminer la neige au sol et dessiner des créatures étranges sur le sol du sous-bois. Des créatures qui se déforment et se délitent sous mes pas, avalées par le scintillement des éclats de neige que mes bottes projettent impitoyablement sur elles. Je quitte le boisé et rentre tranquillement chez moi, par des rues étrangement silencieuses, vidées de circulation.

traces blanches
du sel sur les chaussures
la soupe sur le feu

En cette saison froide, les rues et les trottoirs sont parsemés de gravelle et de sel, petits grains noirs et blancs qui s’accrochent aux chaussures. Chaque fois que je rentre chez moi, je me prends pour le petit poucet qui sème des cailloux sur son passage. Et j’oublie bien trop souvent de passer un coup d’éponge pour faire disparaître les drôles de formes fantomatiques qui apparaissent sur mes chaussures, ce sel qui gruge peu à peu les bottes et accélère leur vieillissement, si loin du fameux « sel de la vie »… ou de celui de ma soupe qui cuit doucement sur le poêle!
Même le dessert du jour vient s’harmoniser avec le blanc moutonnant du dehors.

rideau de neige
de la crème chantilly
sur la tarte aux pommes

Et la nuit tombe aussi doucement que les flocons, légère et apaisante. Seul les craquements du bois, dans le poêle, rompent le silence de la nuit et du couvre-feu.

silence assourdissant
de la ville sous la neige
bientôt minuit

Le lendemain, mon corps se rappelle à moi. Marcher dans la tempête, la tête insuffisamment couverte, les flocons fondant dans le cou, glaçant ma peau, ça se paye.

matin migraineux
le frimas s’égoutte
sur l’étang glacé

J’en suis quitte pour une journée de coucounage, bien au chaud derrière la vitre dégoulinante de soleil, un bon livre à la main. Le matou me tient volontiers compagnie, ne sortant que pour une brève sortie dans la cour. Sur son passage, les branches à peine frôlées se libèrent de quelques grains de neige qui dansent dans la lumière, pétillants comme des bulles de champagne, avant de se déposer doucement sur un matou inconscient de leur présence si légère. Ou peut-être s’en moque-t-il, tout simplement.

douceur de janvier
sous la neige mon chat noir
devient dalmatien

Harmonie du yin et du yang, du vide et du plein, du ciel et de la terre.

   



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