La fin d’un cycle

Mes haïkus du quotidien. Comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

Cette année se termine, cycle condamné à se répéter, toujours pareil, toujours différent. Je profite d’ultimes marches dans les couleurs de l’automne qui s’accrochent encore, envers et contre tout. Le vent, la pluie, le froid… La vie résiste et se bat jusqu’au bout. Pourtant, rien ne change et l’hiver succède immuablement à l’automne comme la mort, à la vie. Un temps pour renaître, se transformer, transmuter peut-être. Après tout, l’univers, si vaste que la tête m’en tourne, n’est qu’énergie. Un souffle, puissant et plus grand que la somme de toutes nos peurs. Une pause, une explosion, un rire, des mains qui s’étreignent, des rides aussi profondes que des sillons dans des champs fraîchement labourés, un nuage poussé par le vent, une pierre oubliée. Une densité éphémère.
Je me perds dans mes rêveries, m’accroupis pour contempler des champignons, inspire l’odeur de pourriture et d’humus du sous-bois. La terre me parle du temps qui passe, des rêves qui naissent et s’évanouissent, de nos espoirs qui déploient leurs ailes translucides, des Hommes trop pressés, des vies qui défilent et des morts qui en constituent la trame. Je l’écoute en silence.

feuilles d’automne
des taches de vieillesse
sur mes mains

des picotements
au creux de mes paumes
le vent se lève

Un vent qui me pousse doucement vers l’avant, seule direction possible. Impossible de revenir en arrière dans notre temps trop linéaire. La rectitude de sa ligne reflète celle de nos âmes engoncés dans notre humanité aux entournures rigides. Pourtant, enfoui au plus profond de nos cœurs, brille encore l’éclat d’un souvenir, d’une lumière, reflet de notre appartenance à l’univers, d’une aspiration au tangible et à l’intangible.
Je reprends le cours de ma vie, brièvement suspendu l’espace d’un instant. D’une respiration.

rivière d’étoiles
dans l’écrin de la nuit
j’attends le sommeil

Un autre jour, une autre vie. D’autres vies, même, parfois, comme celles qu’on endosse fugacement devant les caméras. Je n’avais pas fait de figuration sur un plateau de cinéma depuis un bon moment, et j’avais oublié cette sensation du temps qui s’étire, s’allonge et se distord, la fatigue de ne pas faire grand-chose autre que rester debout, presque interminablement, dans l’attente de la prochaine scène, du prochain faux-semblant. Pâle copie de la vie malgré les lumières, les paillettes et les étoiles. Le mystère se dissipe, les heures défilent et les paupières s’alourdissent.

tai ji nocturne
les heures s’égrènent
avec paresse

Je bouge, avec une sensation d’irréalité, de lenteur, de légèreté trompeuse. Mon corps me remercie de cette pause bienvenue en plein milieu de la nuit. Tout semble plus facile, comme si mon corps lui-même se mettait au diapason de cet espace hors du temps, quelque peu irréel et lointain. Le temps n’est qu’une succession de vagues, une marée qui vient lécher la plage de nos existences.
Et pourtant, je peux presque toucher du doigt toute la magie d’un monde.

silence de l’aube
le murmure de nos voix
en écho sur les murs

fin de tournage
les projecteurs s’éteignent
sur nos rêves

Il est temps de rentrer. Mon vélo m’attend au bas de la côte. Il me faut secouer ma lassitude, revenir dans la réalité, appuyer sur les pédales, traverser le parc… Les arbres sont beaux dans la lumière de ce petit matin d’automne, ils rayonnent d’un discret chatoiement infusé dans la substance même de leurs limbes foliaires. Halo organique qui me donne momentanément un second souffle.
Mais la journée sera longue.

nuit blanche
je traîne ma fatigue
sur mes épaules

Et ce soir, mon corps accuse le coup. Ce soir, mon vieux matou somnole à côté de la lampe de sel. Sa tête penche de plus en plus vers le bas, miroir de celle de l’Autre, sur le fauteuil d’à côté, qui se rapproche dangereusement de son livre.
Je ne suis pas seule.

nuit noire
le passage des heures
rythmé par la pluie

J’écoute cette musique vibrante, le tambourinement des gouttes sur le toit, dans les gouttières, sur le bitume de la rue. Une musique annonçant une nuit hors du temps, pas tout à fait de ce monde, ni de l’autre. Demain c’est l’Halloween, une porte vers l’autre monde, celui des âmes vaporeuses et des créatures des ténèbres. Que reste-t-il aujourd’hui de cette célébration d’un mysticisme révolu? Les rêves se sont perdus dans les brumes du temps.

des mots pour le dire
rien ne pourra ramener
les enfants perdus

il est bien trop tard
Peter Pan ne vole plus
le rêve s’éteint

mains tendues
les petits monstres ricanent
nuit d’Halloween

soir de fête
la pluie crépite
sur les parapluies

Le ciel bas et la pluie qui refuse de cesser, lancinante, nous rappellent que la noirceur n’est jamais loin. Seuls nos rêves peuvent la vaincre. Nos rêves et nos rires.

si dense
le silence de la nuit
je retiens mon souffle

                 



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