Des haïkus de fin d’année

Comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

Après quelques jours de froid coupant, les températures remontent, quelques flocons viennent recouvrir la ville d’un léger voile blanc, et le redoux se poursuit. On entend les « ploc » de la neige fondue tombant en gouttes lourdes sur un tapis qui commence déjà à se transformer en sloche. Les oiseaux et les écureuils en profitent pour sortir de leur léthargie.

redoux hivernal
dans les branches de la haie
un concert

Dans le parc remontent les relents lourds et douceâtres de la sucrerie Lantic. L’air semble soudain plus épais et je hâte le pas pour retrouver sa fraîcheur et sa légèreté.

au loin les odeurs
de la sucrerie Lantic ~
un air cristallin

Je marche dans la neige en songeant au temps qui passe inexorablement et à l’enchaînement des saisons. Avec un émerveillement infini devant les prouesses de Mère Nature, mais aussi un peu de nostalgie au fond du cœur. Car mon temps passe, lui aussi, et tout aussi inexorablement.

neige légère ~
le poids des années pèse
sur mes épaules

Je rentre me mettre à l’abri de toute cette humidité. Une boisson chaude, un carré de chocolat et des traductions m’attendent. La fin de l’année ne signifie pas des congés pour tout le monde, surtout quand on est travailleur autonome. D’ailleurs, ironiquement, l’Autre est en vacances alors que moi je travaille. On ne peut passer tout son temps à rêver, les yeux dans les étoiles et les pinceaux (ou le stylo) au bout des doigts…

neige collante ~
les pelleteux de nuages
rêvent le monde

Pourtant il en faut, des rêveurs, des gens capables de ne rien faire d’autre qu’imaginer un monde meilleur. Il en faut aussi d’autres pour concrétiser ces visions. Notre société aurait bien besoin d’un petit coup de chiffon à poussière, voire d’un grand ménage! Mais en attendant, l’heure n’est plus aux réflexions et laisse bientôt place aux rêves d’un autre genre, ceux qui surgissent de l’inconscient, illogiques, étranges, cocasses, fous. Parfois bien trop réels.

battements de cœur ~
le silence de la nuit
m’enveloppe

Oui, il faut rêver, et particulièrement cette année. Rêver la vie, rêver les fêtes, réinventer notre rapport au temps, aux autres et au monde. Noël n’a plus grande signification. La famille est loin. Le temps, gris et maussade, s’harmonise à mon humeur. L’humidité revient, je la sens jusque dans mes os, et mes rêves détrempés prennent l’eau.

pluie diluvienne
sur la bûche un décor
de Noël glacé

Des jours étranges, il faut bien l’avouer, avec cette pluie de fin du monde qui emporte le peu de neige qui décorait la ville et fait pleurer les gouttières; ces lumières colorées et dansantes, phares urbains miniatures qui percent l’obscurité, de-ci, de-là, et guident les âmes égarées; et un repas de fête malgré tout. Un Noël ensemble, l’Autre, le Matou et moi. C’est l’essentiel, après tout, et la neige reviendra. Tout comme les rêves.

à tout petits pas
sur les sentiers verglacés
l’horizon m’appelle

Quand, enfin, le blanc se met à recouvrir de nouveau la ville, timidement d’abord puis de plus en plus fort, je chausse mes bottes et je sors admirer cette belle couverture en devenir, que j’espère moelleuse et épaisse, berceau de rêves duveteux et doux qui, un jour, prendront leur envol.

crissement de pas
sur la neige fraîche
sous les sapins le silence

brûlure du vent
sur mes épaules les flocons
s’accumulent

Le soir tombe doucement sur cette neige si attendue, qui réverbère la lumière et rend la nuit moins noire, moins profonde. La nuit qui n’est soudain plus aussi insondable ni mystérieuse. La nuit qui passe, interminablement, et finit par trépasser, comme chacun d’entre nous, laissant ainsi place à un nouveau jour. Cycle sans cesse renouvelé, rythme de notre passage sur cette terre, de notre corps et de ses faiblesses, de notre lumière et de notre noirceur.

du haut de l’érable
une corneille me nargue
petit matin blanc

Un café bien noir ne sera pas de trop pour me sortir de ma torpeur. Le chat et moi baillons à l’unisson.
La nouvelle année peut bien attendre encore un peu.

   



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