Haïkus (presque) hebdomadaires

Tous les textes et poèmes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice).

La pluie tombe depuis plusieurs jours, les parcs sont détrempés, le brouillard envahit la ville dès que le ciel cesse de pleurer, l’humidité pénètre partout, jusqu’au fond des os… La neige me manque. Cette fin d’année est tout aussi inhabituelle que le reste! Ah, 2020, quelles surprises nous réserves-tu encore?

les rues lavées
de la neige et des feuilles ~
jour de smog

Le brouillard enveloppe le monde de mystère, change notre perception des choses, notre relation à notre environnement… aux autres aussi, peut-être?

voile de brouillard ~
les amants se découvrent
par petites touches

le monde à travers
un voile opaque ~
où sont mes lunettes?

Le réveil est plus lent, le matin, le sommeil plus lourd, comme une chape épaisse qui veut me retenir au lit. Dehors, l’humidité gagne le monde, la terre devenue éponge n’absorbe plus et le soleil refuse obstinément de se montrer. Serait-il fatigué, lui aussi?

la terre gorgée d’eau
exhale un souffle lourd ~
plus de café

Heureusement, la création et l’art m’offrent de grandes respirations, des goulées de beauté si nécessaires dans ce monde pesant, parfois oppressant. Même le fusain, pourtant simple morceau de charbon, peut illuminer une journée.

matin dans l’atelier ~
la frontière entre terre et ciel
disparaît

Et il reste toujours les promenades, à pieds, dans les îlots de verdure de la ville, improbables illusions de campagne, bulles de répit dans le gris du béton… et le plaisir de rentrer se mettre au chaud, à l’abri de toute cette eau. La covid a beau occuper de l’espace (médiatique), ce sont plutôt les rhumes et autres petits coups de froid qui menacent d’émerger de tout ce brouillard.

les pieds au sec
devant le radiateur ~
un chat dans la gorge

le corps fatigué
en manque de lumière ~
début de l’Avent

Il n’en reste pas moins que ce temps doux et mouillé, si inhabituel pour la saison, en réjouit certains. Je marche lentement, précautionneusement, afin de les admirer avant leur grand sommeil hivernal. Un pas à la fois, léger, pour ne surtout pas les écraser…

d’entre les feuilles
un petit prince coasse ~
la pluie cesse enfin

matin brumeux ~
le monde se dévoile
un pas à la fois

L’Avent aussi, semble-t-il. Un jour à la fois, sans attentes. Il faut juste savoir saisir au vol les petits bonheurs simples, ne pas les laisser s’évanouir, eux aussi, dans ce brouillard parfois trop dense. La Vie suit son cours, nous n’en sommes qu’un infime atome pétri de son importance éphémère et surfaite.
Au fond, ce n’est rien qu’un bon carré de chocolat noir ne puisse faire oublier… 😉

semaine grise
dans la maison les lumières
de Noël

Ah, la promesse de Noël, de fêtes en famille! Et tant de monde déçu, au final. Et pourtant, Noël, ce n’est pas toujours une période de bonheur. Certains sont seuls, d’autres sous les bombes ou loin des leurs. La solitude ne m’a jamais pesé, au contraire. Et même si ma famille est loin, j’ai l’Autre et le Matou, un toit sur la tête, un frigo bien rempli, un imaginaire débridé… tout le monde ne peut pas en dire autant.

Noël annulé ~
dans les CHSLD
rien ne change

Ne soyons pas trop pressés, tout passe, même le pire. Le temps se fiche bien de nos vies et de nos réalités; il finit toujours par nous rattraper. Impossible de lui échapper, quels que soient nos (vains) efforts d’immortalité feinte. Profitons donc des petites choses, créons du bonheur en nous et autour de nous, et laissons notre conscience aiguë du temps qui passe, inexorable, les magnifier…

à pas de velours
l’automne avance et fane
heure dorée

du miel dans mon thé
derrière les nuages
le soleil

Car au bout du compte, il y a toujours – toujours – un rayon de soleil à l’horizon, une flamme d’humanité tenace. Peut-être n’existe-t-elle que dans nos cœurs, tout simplement. Ne dit-on pas que le bonheur est en nous?
Le bonheur, le temps, l’espoir.

Les nuages s’écartent et je prends mon café sur le perron malgré le froid mordant.