Le temps des haïkus…

Comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

lune des loups
mercure en rétrograde
et mes doigts gelés

Une lune de janvier pleine, ronde et froide. Peut-être les loups hurlent-ils en chœur loin dans le nord, mais ici, à Montréal, la nuit est anormalement silencieuse en raison du couvre-feu. Seules des sirènes rompent parfois le calme glacé des rues vides, piètre imitation de la plainte si puissante et primale des loups. Le froid tombe, le mercure chute, la neige durcit. Le petit matin est glacial. Presque violent. Mes bottes font crisser la neige en un bruit si intense dans tout ce silence qu’il semble éclater. Un frisson remonte le long de mon dos. Le froid s’insinue au cœur de mes os, fige mes pensées et ralentit mes pas. J’enfile une deuxième paire de gants et je secoue toute cette inertie. Le froid piquant brûle mes pommettes. Mais très vite, la marche réveille mon organisme et la chaleur monte, de plus en plus vive et agréable. À la maison, le café n’attend plus que moi. Julie : 1 – Hiver : 0.

hiver bipolaire
50 nuances de froid
en quelques jours

Le yo-yo des températures est toujours surprenant. S’habiller constitue parfois un véritable casse-tête : combien de couches à superposer, aurai-je trop chaud (si je marche hors sentier, dans la neige épaisse) ou trop froid (si je commence à rêvasser)?
Ce matin, la question ne se pose plus. L’hiver s’impose. Une chape grise et froide tombe sur les épaules du monde.

mélancolie
dans les allées du parc
un gant perdu

Mais peu à peu, le temps change. L’air se charge d’électricité, d’une densité annonciatrice de neige ombrageuse. Comme si la nature elle-même menaçait de se mettre en colère, impatiente et accusatrice face à nos tergiversations, nos manquements, nos erreurs… J’accélère le pas.

mon souffle se perd
dans les rafales glaciales
la forêt gémit

Les branches des arbres crissent et craquent à présent, poussées les unes contres les autres par le vent qui forcit. Je m’arrête un instant, ferme les yeux et soudain, je me retrouve en mer, sur le pont d’un navire aux mâts grinçants, aux voiles repliées pour échapper au courroux du ciel et au souffle puissant d’Éole. Des paquets de neige gelée se décollent des branches et se désagrègent dans l’air, venant brumiser mon visage d’une humidité à laquelle il ne manque que le sel pour faire illusion. Je rouvre les yeux, un sourire aux lèvres malgré mes joues brûlantes de froid.
Il est temps de rentrer. Autour de moi, des flocons volettent, de plus en plus nombreux.

d’épais flocons
recouvrent le bitume
tout s’efface

La tempête se lève. La ville toute entière s’efface peu à peu et le froid mordant me donne des envies de réconfort gourmand. Cette semaine, j’ai même une excuse…

tempête de neige
un soleil dans la poêle
pour la Chandeleur

La nature elle-même m’inspire en faisant monter à mon esprit de drôles d’associations d’idées. Après les grincements du bois évoquant la mer et les bateaux, les grains de sable et les grains de sel, place aux grains de neige qui me fouettent le visage de plus en plus fort… et donc, bon sang mais c’est bien sûr, au fromage en grains!
(N. B. : Il s’agit d’un fromage cheddar caillé frais en crottes, qui fait « skouik-skouik » sous la dent. C’est un ingrédient essentiel de la poutine, ce plat typiquement québécois : frites, fromage en grains et sauce brune dans sa version basique.)

de la neige en grains
vole de toits en toits
poutine au souper!

Il est plus que temps d’arrêter de rêvasser et de rentrer. La visibilité se réduit à vue d’œil (!). Heureusement, je n’ai plus qu’une rue à traverser. Chaussée blanchie, atmosphère opaque et dense, vent qui me pousse et me secoue… et un bus qui peine à se frayer un chemin, emportant ses rares passagers vers une destination connue d’eux-seuls, un havre de paix, un port d’attache.

poudrerie
dans le bus une ado
se remaquille

N. B. : La poudrerie est de la neige déjà au sol qui est soulevée et poussée sous l’effet du vent, et qui réduit (ou supprime carrément) la visibilité.
Le contraste entre ma personne, debout sur le trottoir, emballée dans une doudoune, deux tuques superposées sur la tête, des gros gants, une écharpe, un surpantalon, des bottes d’hiver, les yeux plissés par les rafales qui projettent de la neige dans mon visage… et cette adolescente confortablement installée dans le bus qui passe lentement devant moi, occupée à souligner de noir le contour de ses yeux, est assez frappant.
Peu m’importe le froid, au fond : ici et maintenant, je revendique ma « nordicité »!

Après quelques heures, le vent finit par se calmer. La nature s’apaise et le soir dépose son manteau de nuit sur la ville. Les flocons se raréfient, s’allègent, s’adoucissent. Je les contemple depuis chez moi, bien au chaud derrière la vitre glacée.

un duvet blanc
se dépose doucement
bientôt la nuit

Et avec elle vient ce grand plaisir hivernal : une flambée réconfortante dans le poêle à bois. Comme un soleil nocturne qui éclaire la maison de ses flammes dansantes, tisse le fil d’une musique apaisante et exhale des notes d’encens et de fumée. Une véritable prescription pour le bien-être.

dernières lueurs
du soleil couchant
j’allume le poêle

Bientôt, une douce chaleur enveloppante envahit la maison. Le chat s’étire en ronronnant, satisfait. L’Autre [mon conjoint, ndlr] s’endort sur son fauteuil, le nez dans un volumineux roman. J’écris, en essayant d’atténuer le bruit discordant de mes doigts sur les touches de l’ordinateur. L’harmonie de cette soirée d’hiver mérite bien d’être préservée.

       



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