Langueur estivale

Mes haïkus (presque) hebdomadaires. Euh, non, mensuels, depuis quelques temps! Bref, comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

Pour le bipède que je suis, marcher est une nécessité. Cela ne date pas de la pandémie. Mon besoin de nature, lui, est viscéral, surtout depuis que j’habite en ville. Même si Montréal est une métropole agréable, aux rues larges et aux parcs nombreux, la nature me manque. Je la trouve malgré tout dans mon quotidien, plus « apprivoisée », plus « docile », mais avec des bouffés d’exubérance inattendues et quelques surprises.

brouillard matinal
des nuées de moustiques
décollent sous mes pas

frémissement
la trace d’un passage
dans l’herbe haute

L’été, il y a plus de monde dehors. Mes chemins secrets ne le sont plus autant, et les bruits de conversations ou de circulation sont plus présents. Mais à certaines heures, la ville sait encore se faire oublier. Sa voix baisse et son souffle s’apaise pour laisser surgir des moments improbables : un renard qui me fixe, immobile, au détour d’un chemin; le roucoulement d’un ruisseau dans une « forêt » rendue si dense par la chaleur et l’humidité que je peux m’imaginer temporairement ailleurs; un grand héron en vol dans un ciel dont le bleu n’a rien à envier aux tableaux des grands peintres; des herbes sauvages où se cachent papillons azurés et libellules bleues, porteurs des reflets du ciel…

soupir d’aise
le parfum des graminées
après la pluie

fraîcheur de la brise
les nuages s’effilochent
sur l’eau du lac

La vie grouille, partout. Chez moi aussi. Une vie à ras de terre et de fleurs, intense et foisonnante.

sursaut du chat
grouillement de perce-oreilles
dans le compost

Et je cherche la fraîcheur. L’humidité dont l’été se pare chaque année avec entêtement m’enveloppe, me pèse, me ratatine. Même le ventilateur brasse un air chaud et épais. Il est vieux et grinçant, l’effort lui coûte. L’air lui résiste, s’accroche à ses pales avant de se laisser projeter plus loin, en vagues ondoyantes. Je ne peux que compatir. Je dois me faire violence pour bouger. Ma volonté se tend autant que mes muscles, vers une promesse (un espoir?) d’eau ou de brise.

chaleur étouffante
le ventilo semble brasser
de la mélasse

clapotis de l’eau
dans la piscine des voisins
vague de chaleur

J’envie brièvement ces voisins, avant de contempler mon jardin et de sourire. Pour rien au monde je n’échangerais mon petit royaume verdoyant contre leur piscine! Après tout, mon jardin est une oasis, un îlot de fraîcheur dans une mer de béton et d’asphalte. Je n’ai plus qu’à opter pour une autre solution…

été montréalais
troisième douche froide
de la journée

J’attends alors avec impatience la nuit qui semble me tendre les bras… et je me laisse emmener dans son illusion de fraîcheur, sous l’œil complice des étoiles qui me regardent avec indulgence. Qui suis-je, pour m’insurger contre le climat? Qui suis-je, dans cet univers si vaste que l’esprit ne peut l’appréhender, si impossible qu’au final, plus rien ne compte que le vide infini.

nuit tombante
des fantômes s’élèvent
dans la brume

La chaleur ramollit mes pensées. Le hamster qui tourne, tourne, tourne dans ma tête ralentit la cadence. L’indolence le gagne, lui aussi… jusqu’au lendemain matin et le début d’un nouveau jour, d’une nouvelle lourdeur que le café aura bien du mal à dissiper.

petit matin
un dernier lambeau de nuit
assombrit l’étang

premier café
la sonnerie du téléphone
me fait sursauter

Il est temps de commencer la journée.

           



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